Homélie de Mgr Le Stang aux Assises régionales des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens

Frères et sœurs,

Jésus est en sortie. Il marche de Jéricho vers Jérusalem. Il quitte le lieu le plus bas de la terre vers Jérusalem, cité de rassemblement de tous les peuples, annonciatrice de la Jérusalem éternelle, dont cette cathédrale est une figure à la fois pâle et majestueuse.

Marchant vers Jérusalem, Jésus sait qu’il y va aussi pour embrasser son destin douloureux, pour vivre ce grand baptême qui est tout à la fois objet de son désir et motif de son angoisse. Il sait en dépit du succès populaire de sa mission, objet de sa venue parmi les hommes pour laquelle il a tout donné, qu’elle va se solder par un échec, à vues humaines. Mais, ce refus absurde de la miséricorde de Dieu, dont l’annonce était le sens de sa vie, ne fera pas perdre à Jésus pas sa motivation profonde. Sa vie et son projet ont du sens, un sens reçu de son Père. Il a lancé dans ce monde un processus irréversible. « Le temps est supérieur à l’espace », énonce le Pape François dans La joie est l’Évangile. Une mission produit son fruit dans le temps. Les plus fructueuses des entreprises sont vécues au long cours, au fil des échecs et des crises. La raison d’être de la mission de Jésus se mesure à l’aune du temps long, à l’aune même de l’éternité de Dieu. Jésus ne perd de vue ni sa foi, ni sa vision, ni son énergie personnelle, qui est celle de l’Esprit. Il ne cède pas à pulsion de mort, mort qu’il s’apprête pourtant à accueillir comme étape nécessaire pour la fécondité de son entreprise. Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il ne peut porter du fruit…

Dans sa marche vers Jérusalem, Jésus est suivi par une foule. Mais cette foule est-elle un écosystème relationnel riche et stimulant ? Qui est cette foule qui comme un essaim d’abeilles le poursuit : une foule de disciples ou une foule de curieux, un peuple intuitif qui espère en lui, ou une meute qui attend sa chute ? Cette même foule versatile criera sous peu à Pilate : « crucifie-le ! ». Il y a, certes, dans cette foule, ses collaborateurs proches, ses apôtres et disciples, mais ils ont eux-mêmes dans la perplexité et non loin de quitter le navire. C’est à eux qu’il va pourtant confier les clés de son entreprise : Faites ceci en mémoire de moi. Pour l’heure, Jésus est seul, d’une solitude abyssale, la solitude du Chef, celle du Grand Prêtre qui n’a que lui-même à offrir en sacrifice. Cette solitude va s’accroître au fil des heures, dans le conflit religieux et politique qui va lui couter la vie. Pourtant Jésus ne s’isole pas. « L’unité est supérieure au conflit » énonce encore le Pape François dans un second principe. Jésus reste relié à son Père. Et

il va se faire un ami, ce fils de Timée, l’homme du bord du chemin car il aura su l’entendre, le faire renaître et l’intégrer dans son groupe. « L’unité est supérieure au conflit » écrit aussi le Pape François. Il disait aux évêques d’Ile de France fin septembre : fuyez le conflit, mais ne refusez pas la crise car la crise, affrontée ensemble, permet un diagnostic, un jugement et ouvre sur des solutions. Si elle isole, enferme, clive, elle est stérile. Portée en relation et visant l’unité et la communion, elle porte en elle une grande fécondité.

Revenons à Bartimée, l’homme aveugle et immobile du bord du chemin. Comme si sa cécité de suffisait pas à sa malédiction, la foule veut le rendre muet. A ceux qui n’ont rien, on enlèvera même ce qu’ils ont, dit l’Évangile par ailleurs. L’aveugle pourtant partage la vision de Jésus sur son identité : il voit en lui le Fils de David, le Roi/Messie. Il voit sa puissance : aie pitié de moi ! Sa prière est un cri qui vient du fond de son être, de cet abîme en nous d’où naît la vraie foi. Bartimée, homme transparent aux yeux d’une société hystérique ou épileptique, interpelle les foules sur leur fuite en avant qui en laisse tellement sur le bord du chemin. Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il y perd son âme ? Jésus, aussitôt, entend ce cri. Il s’arrête. Être moderne aujourd’hui, n’est-ce pas savoir s’arrêter, comme Jésus, pour ouvrir les yeux, pour aller au-delà l’aveuglement des foules modernes, saturées par d’informations qui n’informent de rien et d’écrans qui accroissent l’opacité du réel ?

Appelez-le. C’est une parole d’autorité qui claque. En un mot, elle change le regard de la foule versatile qui d’écrasante devient appelante : Confiance, lève-toi, il t’appelle. Jésus ouvre à l’aveugle – par le biais d’une foule qui se découvre capable de transmettre l’appel de Dieu au monde -, une espérance sans limite. A l’homme angoissé par une situation sans issue, il ouvre un avenir qui le fait bondir, puis courir joyeusement.

Jésus ne se laisse pas enfermer par les trois détresses humaines fondamentales : le non-sens (à quoi sert de vivre si ma vie n’a pas de sens ?), la solitude (qui incarcère), et l’angoisse (qui est toujours angoisse de mort). A ces trois détresses que lui-même va traverser, il oppose un contre-poison : au non-sens, il oppose la foi, qui donne motivation et confiance ; à la solitude faite de rejet et d’incompréhension, il oppose la communion et la relation ; à l’angoisse de mort, il ouvre l’espérance. Il traverse lui-même l’absurdité, la solitude et l’angoisse, et rejoint tous ceux qui, comme Bartimée sont confrontés à ce type de vie angoissante, insensée et isolée. Il permet le jaillissement de leurs trois antidotes : la foi, l’espérance et l’amour. Elles viennent de son mystère pascal et sont reçues en chaque baptême.

La foi motive, l’amour relie, l’espérance libère. Et nous poussent à offrir aux autres, d’une manière ou d’une autre, ce qui donne d’y croire davantage, d’aimer envers et contre tout, et d’espérer contre toute espérance.

En ce jour, entrepreneurs et dirigeants chrétiens, réunis ensemble, vous voulez, vous aussi, vous approcher de Jésus au plus près, au cœur même de ce que vous vivez dans vos vies professionnelles ou privées… et vous prenez alors pour vous la question de Jésus à Bartimée :

Que veux-tu que je fasse pour toi ?

Comme vous, je suis frappé depuis quelques années de voir combien des jeunes chrétiens, étudiants dans de grandes écoles sont capables (avec des moins jeunes), de prendre leur foi au sérieux et d’oser des initiatives de service, d’évangélisation, de vie avec les pauvres, de sortir de leur zone de confort et de se lancer dans des aventures qui ne font désespérer ni de l’homme ni de l’Église. Le récent congrès Mission de Lille en est un exemple parmi d’autres. Comme il en va pour toute l’Église, vous ne voulez pas faire de votre mouvement un simple club d’amis mais un tremplin vers la sainteté particulière à laquelle Dieu vous appelle. Vous savez que l’Église est à régénérer. En substituant un cléricalisme à un autre ? Non, mais bien plutôt en montrant au monde, l’inépuisable et joyeuse richesse de l’Évangile, traversant toute crise dans la foi, l’espérance et la charité.

Confiance, lève-toi, il t’appelle.

Oui, le Seigneur nous appelle à bondir vers lui…

Que veux-tu que je fasse pour toi ?

Si ton désir profond rejoint celui de Dieu, sois-en sûr, il est déjà exaucé. Amen.

En ce jour, entrepreneurs et dirigeants chrétiens, réunis ensemble, vous voulez, vous aussi, vous approcher de Jésus au plus près, au cœur même de ce que vous vivez dans vos vies professionnelles ou privées… et vous prenez alors pour vous la question de Jésus à Bartimée :

Que veux-tu que je fasse pour toi ?